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Pour commencer, une évocation du Pigalle des années 80…

 

 

Le 7 rue Ballu, Paris, 9é.

Avant de rejoindre le regretté 36, Maigret a fait ses armes dans ce lieu. Nous sommes nombreux à l’avoir imité, sans même parfois savoir que nous lui succédions entre ces murs…

Le numéro 7 de la rue Ballu, Paris ! Combien de jeunes flics ont foulé de leurs baskets les escaliers de bois qui desservaient les deux étages de ce bâtiment aujourd’hui occupé par la maison des auteurs ? Nul ne le sait sans doute, pas même un de ces archivistes poussiéreux qui hantaient les sous-sols de la PP quand l’informatique n’existait pas.

Ce dont on peut par contre être certain, c’est qu’aucun de ceux qui sont passés là n’a oublié. Pour ma part, j’ai connu cet endroit quand le début des années 80 ensoleillait Pigalle de son insouciante lumière. Lors d’une réunion qui dispatchait les jeunes flics sortis d’école, je me suis vu affecté au commissariat Saint-Georges, 9e arrondissement. En bon provincial, je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais trouver là. Le métro Blanche m’a éjecté face au moulin rouge, enfouraillé d’un herstal 7,65 qui ferait aujourd’hui pisser de rire n’importe quel pré-ado de banlieue. Muni de mon bitumar flambant neuf, j’ai trouvé sans peine l’endroit où j’allais passer huit ans.

Je fus accueilli par nounours, inspecteur divisionnaire, adjoint du chef de service. L’avertissement fut presque immédiat : « les jeunes, ce soir personne ne rentre à la maison ». Ah nounours ! Notre papa à tous ! C’est avec lui et quelques autres que ce soir là, j’ai pour la première fois embrassé les nuits de Pigalle, vues par les yeux d’un flic affecté à ce qui s’appelait alors un commissariat de police judiciaire et administrative. Ce fut un défilé de bars à hôtesses et de cabarets, la Vie en Rose, l’Embassy, les Folies Pigalle, souvent tenus par d’anciens membres du milieu. Il y avait à l’époque encore quelques corses, et parfois comme une légère fragrance de films de Verneuil. Certains anciens truands faisaient encore survivre ce qui avait été leur « code d’honneur ». Un vieil opticien du quartier racontait souvent avec nostalgie que quand le quartier était tenu par les corses, il y avait certes parfois quelques règlements de compte sanglants, mais arracher un sac à une personne âgée n’était pas envisageable.

Nounours nous a présentés partout, nous promenant de cabaret en cabaret, de bar en bar. Les heures défilant avec les verres, la soirée qui n’avait déjà pas commencé dans la tristesse, s’est rapidement acheminée vers une joie franche et rigolarde. Nous fîmes aussi un passage au bus palladium qui se trouvait sur ce quart d’arrondissement dont nous avions la charge, dont les frontières étaient délimitées par la place Clichy, la place Pigalle, la gare Saint-Lazare et le croisement entre la rue notre Dame de Lorette et la rue Saint Lazare.

J’allais constater rapidement que ce secteur relativement peu étendu voyait se commettre chaque jour des infractions aussi nombreuses que variées : vols roulottes, vols à la tire, à l’arraché, à l’italienne, à l’entôlage, cambriolages, escroqueries, abus de confiance, rackets, agressions, proxénétisme commis par de simples julots casse-croûte ou des proxos violents qui torturaient les filles de la rue de Buda… Il y avait aussi ces touristes crédules, attirés dans un bar ou un cabaret par un rabatteur, qui s’étonnaient de se voir présenter au petit matin une addition de plusieurs dizaines de milliers de francs. Ils pensaient sans doute que ces jeunes filles aussi amicales que maquillées se collaient à eux parce qu’elles avaient succombé à leurs charmes, et ne se doutaient pas que ces « bouchonneuses » étaient payées proportionnellement au nombre de bouteilles de champagne qu’elles parvenaient à commander sur le compte de leurs victimes.

Il faut aussi ajouter à ces tâches variées l’enquête décès, notamment celle tristement célèbre du vendredi soir, qui hypothéquait le week-end.

Le travail ne manquait donc pas, et la première tâche des fonctionnaires à l’ouverture du commissariat consistait à dénombrer le nombre de détenus présent dans la « cage » suite aux affaires de la nuit, puis à se répartir le traitement des dossiers.

Outre ces affaires, il y avait les plaintes. Chacun se devait de débuter au guichet avant de rejoindre soit le groupe flag qui traitait les affaires du même nom, soit le groupe parquet qui gérait les dossiers transmis par le procureur de la République.

Mais il n’y avait pas que les infractions qui foisonnaient dans le quartier, il y avait aussi les restaurants, avec leur menu « grande maison » qui nous était réservé. Je me souviens notamment de celui de Carmelo qui était un peu notre cantine, dont la façade s’est enflammée un jour où il nous avait laissé les clés. Sacré Carmelo, mais chut !

Autant dire que dans ces restaurants, les menus étaient étudiés. Copieux. Arrosés souvent. Au point que périodiquement, emportés par de diététiques envies, nous nous rendions en procession jusqu’au central 17 situé rue Truffaut. Fort heureusement, cela ne durait jamais bien longtemps : trop loin, peu goûtu, trop bruyant… Alors, nous nous rendions immanquablement à la raison : il nous fallait faire travailler les tenanciers du quartier, et tant pis pour notre santé ! Ce doit être cela qu’on appelle la conscience professionnelle.

Il y aurait tant à dire. Tant de souvenirs d’affaires… Tant de souvenirs de collègues qui furent et restent des amis.

Il y a Nounours bien sûr, qui nous a passé un savon le jour où pour poursuivre des cambrioleurs qui s’étaient enfuis par les toits nous avions jugé bon de courir derrière eux, alors que lui, toujours protecteur, avait trouvé que le préjudice étant minime, nous aurions mieux fait de redescendre pour ne pas risquer de tomber. Mais que les toits de Paris étaient beaux ce jour-là !

Il y a cet inspecteur principal aussi, en compagnie duquel, après une course poursuite, nous nous sommes retrouvés dans un hall d’immeuble face à un individu qui nous menaçait d’une arme de poing. Pour ceux qui ne savent pas, à l’époque, dans ce type de situation, nous étions censés attendre que le fonctionnaire le plus gradé et le plus aguerri ouvre le feu. Nous étions une bonne équipe et c’est ce que nous avons tous fait : nous avons attendu. Il n’a pas tiré. On pourrait discuter longtemps du bien-fondé de sa décision, mais je lui dois de ne pas avoir participé à une opération durant laquelle se serait fait tuer ou blesser un imbécile armé d’un simple pistolet d’alarme qui avait pris le risque de braquer des fonctionnaires de police munis d’armes réelles dont ils auraient pu faire usage en toute légitimité.

Il y a cet autre principal, corse, avec qui nous avons visité une casse de la banlieue sud pour y mener une perquis avec le frère d’un des membres du gang du même nom, et qui grâce à sa gouaille et sa bouteille a fait que nous sommes ressortis de là tout en douceur.

Il y a toi qui vis maintenant en Guyane, avec qui j’ai fait tant de balades, en chansons et en moto, qu’elles nous ont menés jusqu’aux vignes du Beaujolais… Toi qui durant une course dont j’ai totalement oublié la cible, as réalisé une cascade sur le boulevard de Clichy qui me reste en mémoire, avec l’image de ton flingue qui t’accompagne dans ta chute et glisse à tes côtés dans une harmonie parfaite… Toi qui aimais tellement les tartines de cet hôtel de la rue blanche que tu as décidé de vivre avec la souriante et jolie serveuse qui nous les préparait (ah oui, oups, c’est le même)… Toi qui te confines au Vietnam, qui roulais en Porsche, et qui étais sans doute le seul à être capable de nous emmener déguster une bouillabaisse incroyable non pas sur le vieux port, mais au nord du nord de la France ! Toi qui as plus tard acheté un appart en Floride… Toi qui as quitté le commissariat pour rejoindre la BRB. Toi qui ne manquais jamais de fromages de chèvre et qui racontais si bien l’histoire de l’ours que tu ne pouvais réfréner le fou rire qui te prenait chaque fois. Toi, qui venais du sud de la France et qui as su si bien expliquer à ce qu’on peut appeler un vieux con que la police ne punit pas toujours les guitaristes du métro au prétexte qu’ils sont jeunes et font la manche… Toi, la seule femme flic du groupe, qui ramenais dans l’équipe des sourires joyeux et des parfums de Bretagne. Vous, nos secrétaires qui saviez si bien nous rappeler nos vaines recherches en retard, l’une avec indulgence et l’autre avec une rigueur qui ne manquait pas de nous impressionner. Vous, nos souriantes hôtesses qui géraient l’accueil de ce public varié qui déferlait à toute heure.

Toutes ces affaires, toutes ces anecdotes… Vous tous que je n’ai pas cités parce que mon Alzheimer naissant les dissimule à ma mémoire, mais qui allez réapparaître dans quelques heures en me faisant dire : et merde, je t’ai oublié… J’espère que tu me pardonneras.

À tous, je veux dire merci pour avoir partagé avec moi ces souvenirs et ce lieu qui restera unique à jamais : le numéro 7, de la rue Ballu, Paris 9é.